littérature/france/turquie sur les rives du soleil : la turquie littéraire réinventée (mfi/08.10.2013) les éditions galaade publient à l’o
Littérature/France/Turquie
Sur les rives du soleil : La Turquie littéraire réinventée
(MFI/08.10.2013) Les éditions Galaade publient à l’occasion de cette
rentrée littéraire une riche anthologie de la fiction moderne turque.
Composée de 16 auteurs et de 19 textes inédits, ce volume a l’ambition
de faire découvrir quelques-uns des romanciers et de nouvellistes
marquants, mais encore peu connus dans les pays francophones.
Sur les rives du soleil : Ecrivains de Turquie est une anthologie
paradoxale qui emprunte son titre à l’œuvre du poète Hasan Hüseyin («
nous sommes des cochenilles sur les rives du soleil/nos chansons
tirent tantôt vers le bleu/tantôt vers le noir d’encre »), mais elle
est composée uniquement de textes en prose. Une prose dans laquelle la
poésie n’est pas toutefois totalement absente. En effet, la grande
force de cette anthologie en traduction française est d’avoir su
restituer dans la langue d’arrivée la qualité poétique du turc
littéraire moderne, né de l’héritage des bardes d’Anatolie et de la
poésie révolutionnaire du grand pionnier Nazim Hikmet.
Il conviendra aussi de mettre au crédit de cette anthologie son souci
de donner à lire des auteurs peu connus en Occident. « La littérature
turque reste une terra incognita », écrit dans ses propos liminaires
le traducteur et le formidable passeur de textes Timour Muhidine.
Notre connaissance de la fiction littéraire turque se limite souvent à
quelques grandes figures comme Yasar Kemal, Nedim Gursel ou Orhan
Pamuk, prix Nobel de littérature 2007. Ils sont les arbres qui cachent
la forêt, une forêt faite d’une grande diversité de talents, de
sensibilités et d’écritures que l’anthologie publiée par Galaade
invite le lecteur français à découvrir à travers « un panorama
réinventé de littérature turque enracinée dans le monde contemporain
».
Entre nostalgie et critique politique radicale
Sur les rives du soleil réunit 19 nouvelles représentatives de trois
générations d’auteurs, celle des débuts de la République turque, celle
du coup d’Etat et celle des années 2000. Le volume s’ouvre sur trois
textes de femmes (Adalet Agaoglu, Leyla Erbil, Furuzan), entre
l’expérimentation littéraire et linguistique et la critique de la
société patriarcale, sur le mode de sarcasme et de parodie, comme en
témoigne le titre de la seconde nouvelle du recueil : « Nous deux,
critiques socialistes de sexe masculin ». Le volume se clôt sur la
délicieuse nouvelle autobiographique d’Enis Batur intitulé « Le renard
». Dans ce texte nostalgique d’une Turquie perdue à jamais, l’animal
surgi du passé devient pour le narrateur-personnage exilé à Paris la
métaphore des mystères de l’enfance.
L’exil, les inégalités sociales, la montée des fanatismes,
l’aspiration à la liberté, la tentation de la marginalité sont
quelques-uns des autres thèmes traités par les nouvellistes réunis
dans ces pages. Ces thèmes sont graves, leur écriture empreinte d’un
pessimisme profond comme dans la nouvelle de Sabahttin Ali mettant en
scène le drame d’un petit porteur d’ayran (boisson à base de yaourt)
condamné à marcher tous les jours à travers les forêts enneigées pour
écouler sa marchandise. Les cinq à dix sous qu’il rapporte à la fin de
la journée font vivre sa famille abandonnée de tous. Il y a du Gorki
et du Zola dans ce texte puissant qui se termine tragiquement pour le
petit Hassan dévoré par les loups.
Au social-réalisme de Sabahttin Ali répondent en écho la jeune
littérature turque amplement représentée dans les pages de cette
anthologie. Les représentants les plus prometteurs de cette jeunesse
ont pour noms Hakan Günday, Murat Uyurkulak dont les textes riches en
imprécations cyniques cachent une critique radicale des choix
politiques et sociaux de l’élite dirigeante. Bruissant de la diversité
des voix qu’elle fait entendre, Sur les rives du soleil s’impose
d’emblée comme une anthologie incontournable qui permet au lecteur de
voir plus clair dans les lettres turques contemporaines trop longtemps
perçues comme une jungle luxuriante mais impénétrable.
Tirthankar Chanda
Sur les rives du soleil : Ecrivains de Turquie, anthologie de
littérature turque. Choix de textes établi par Emmanuelle Collas.
2013, Galaade, 448 pages. 24 euros.
Trois questions à Emmanuelle Collas, directrice des Editions Galaade
(MFI/08.10.2013) Emmanuelle Collas a publié quelques-unes des figures
marquantes de la jeune génération de romanciers turcs.
MFI : Depuis sa création en 2005, Galaade a publié plusieurs auteurs
turcs. D’où vient ce tropisme ottoman ?
Emmanuelle Collas : De formation, je suis historienne de l’Antiquité.
Mes recherches portaient sur les relations entre les cités grecques à
l’époque hellénistique et romaine. Pendant dix ans, j’ai fait du
terrain en Turquie. J’ai appris la langue pour lire la littérature
turque que j’ai découverte pendant mes voyages. Comme j’avais été
frappée par la puissance et la modernité des écrivains turcs, j’ai
voulu tout naturellement les faire connaître lorsque j’ai créé
Galaade.
MFI : Vous nourrissiez depuis le début le projet de l’anthologie ?
E.C. : Ce projet est le fruit d’un atelier de traduction auquel j’ai
participé, organisé conjointement par le Centre national du livre
(CNL) et son équivalent turc, le TEDA. Au terme de cet atelier, le
directeur du CNL, Jean-François Colosimo, m’a demandé de choisir des
textes pour une anthologie de littérature turque en français. J’ai
fait un choix subjectif, avec la seule contrainte que je m’étais
imposé qui était d’éviter les grandes figures trop souvent traduites.
Je voulais renouveler le regard que nous portons sur cette littérature
à travers ce que j’appelle un « panorama réinventé ».
MFI : Quels sont les principaux traits marquants de la littérature
turque ?
E.C. : Ce qui frappe quand on lit cette littérature, c’est d’abord sa
langue très particulière, très proche de l’oralité. Les romanciers
passent constamment d’un registre à l’autre, chose difficile à
restituer en français. Je suis aussi très sensible à l’humour, à
l’utilisation du second degré par la jeune génération qui chahute sans
arrêt les conventions, les hommes politiques, les valeurs de la
société traditionnelle. On est loin de l’imaginaire des Mille et une
Nuits.
Propos recueillis par Tirthankar Chanda